lundi 29 avril 2024

A L'heure du limocello suivi des Dialogues du Maître soufi.

 A paraître très prochainement aux éditions Edern. Bruxelles. La couverture reproduit une œuvre de Carole Melmoux, artiste peintre. La 4eme de couverture est d'Eric Brogniet, académicien et poète. 



dimanche 28 juin 2020

Thrène de Séville



Thrène de Séville
Poème du XIIIe siècle traduit d’Abu-l-Baqa Salah ar-Rondi
Jalel El Gharbi
p. 26-30
1Voici une traduction d’un poème andalou, Thrène de Séville1 écrit par Abul Beca ar-Rondi (1204-1285), gentilé arabe de Ronda. Poète d’une grande délicatesse, sa poésie, comme celle de Ibn ar-Roumi2, a renouvelé les thèmes de la littérature arabe : on trouve chez lui une description de la mer, des fruits (grenades) et même des légumes (un vers sur les carottes). Ce poème, écrit suite à la perte des grandes villes d’al-Andalus au XIIsiècle, tombées aux mains des armées de Ferdinand III de Castille et de Jacques Ier d’Aragon, prophétise la chute de Ronda en 1485 et la disparition du dernier état musulman de la péninsule Ibérique, Grenade, en 1492.
2Rondi – celui qui est originaire de Ronda – est considéré comme le dernier poète andalou. Une place de sa ville natale porte aujourd’hui son nom : « Plaza poeta Abul Beca ».
Accomplie, toute chose porte sa carence :
La douceur de vivre ne doit leurrer personne.
Tel que je vois, tout est affaire d’alternance,
Comblé un instant, on en pâtit l’éternité.
La vie ici-bas n’épargne jamais personne,
Jamais rien ne demeure longtemps inchangé.
Le temps lacère fatalement tout bienfait,
Dès qu’on érige trop haut ses moucharabiehs.
Et toute épée est promise au néant, fût-elle
Celle de Ibn Dhi Yazin3, fût-elle au palais de Ghomdan.
Où sont les rois de la couronne du Yémen4 ?
Et où sont donc les diadèmes ni les guirlandes5 ?
Où sont les bâtisses que fit Chadad à Irem6 ?
Où est le règne des Sassanides persans ?
Où sont tous les trésors amassés par Crésus ?
Où sont ceux de Ad, de Chadad et de Qahtan7 ?
Ils subirent tous un imparable destin,
Et ce fut comme s’ils n’avaient jamais existé.
Les rois et les règnes qui furent en devinrent
Comme le récit d’un songe par un grand dormeur. 
Le temps s’en prit à Darius et son assassin,
Puis Hanta Kosrau qui ne trouva point d’abri.
C’est comme si le Grand Cyrus ne fût jamais,
Que le règne de Salomon n’eût jamais lieu.
Les drames dus au temps sont tellement variés,
Et l’éternité a ses heurs et ses malheurs.
Un oubli vient adoucir toute catastrophe,
Or il n’est pas d’oubli pour ce qui frappa l’islam.
Un drame insurmontable s’abattit sur l’île8 ;
Ohod9 en croula et Thalan10 s’en affaissa ;
Touchée par le mauvais œil, elle fut mortifiée ;
L’islam disparut de maints pays et contrées.
Prenez à Valencia11 nouvelles de Murcie12,
Et où est Xàtiva13, plutôt où est Jaén14 ?
Et où est Cordoue15, qui est la cité des sciences
Où tant de savants connurent un grand renom ?
Où sont donc Séville16 et toutes ses promenades ?
Où est son fleuve à l’eau douce, toujours abondant ?
Ce sont les pierres angulaires du pays.
Comment y demeurer, dès lors qu’elles ne sont plus ?
Voici que la fontaine blanche pleure de peine
– Comme qui, éploré, pleure sa bien-aimée –
De voir un pays où l’islam n’est plus présent ;
Par lui déserté, par l’apostasie peuplé,
Et où les mosquées sont devenues des églises,
Où l’on ne voit plus que des cloches et que des croix ;
Même les mihrabs17, inanimés, en pleurent,
Et les minbars18, qui ne sont que du bois, en pleurent.
Vous qui êtes distrait malgré les leçons du temps,
Si vous, vous sommeillez, il est toujours en veille ;
Vous qui marchez gaiement tout à votre patrie,
Comment peut-on s’acclimater après Séville ?
Cette catastrophe fait oublier le reste,
Elle qui, jamais, ne tombera dans l’oubli.
Vous qui chevauchez des purs-sangs, au ventre mince,
Qui sur le champ de course sont tels des aigles ;
Vous qui portez les fines épées venues d’Inde
Comme un feu dans la poussière drue des sabots,
Qui gambadez outre-mer en toute quiétude,
Vous jouissez, chez vous, de dignité et de pouvoir.
Avez-vous nouvelles des gens d’Andalousie ?
Les caravanes ont transporté leur récit ;
Combien les pauvres gens nous appellent au secours,
Victimes et prisonniers, et personne ne bouge.
Pourquoi cette scission entre vous musulmans ?
Or, créatures de Dieu, vous êtes tous frères.
À moi ! âmes fières et bonnes volontés
Qui sont les partisans du bien et ses agents.
Oh ! vilenie d’un peuple connaissant la gloire19,
En est là par apostasie et tyrannie.
Hier encore, ils étaient les maîtres20 chez eux
Aujourd’hui, ils sont soumis en terre hérétique.
C’est pitié de les voir perdus, sans aucun guide,
Porteurs de tous les signes de l’humiliation.
Les voir pleurer, alors qu’on les donnait à vendre,
Vous aurait scandalisé et beaucoup peiné.
Il est des mères séparées de leurs enfants,
Tout comme une âme qui est de son corps dissociée.
Ou cette enfant belle comme un soleil levé21,
Comme si elle était jacinthe et corail,
Le Barbare la mène vers son lot forcée.
Les yeux larmoyants et le cœur endolori,
C’est pour de tels faits que le cœur fond de peine
S’il y reste une trace d’islam ou de foi.
Traduction Jalel El Gharbi
Notes
1  Dit aussi Thrène de l’Andalousie.
2  Ibn Ar-Roumi, ouAbou el-Hassan Ali ben Abbas ar-Roumi, surnommé ainsi car son père était chrétien, fut un poète arabe du ixe siècle (836-896, Bagdad).
3  Héros d’une geste populaire arabe.
4  On rapprochera ce poème du thème latin de Ubi sunt dont on voit l’écho chez François Villon dans son poème Ballade des dames du temps jadis.
5  La coordination par « ni » dans une interrogative est un archaïsme par quoi nous rappelons le poème de Villon.
6  Cité arabe antique citée dans le Coran.
7  Ancêtre des Arabes du Sud (les Arabes indigènes) par opposition aux Arabes du Nord, descendants d’Adnan.
8  L’île : la péninsule Ibérique.
9  Mont Ohod, à 5 km de Médine. Siège d’une bataille le 21 mars 625 entre les premiers musulmans et les Mecquois.
10  Mont du Najd en Arabie culminant à 1 200 mètres.
11  Tombée en 1238.
12  Tombée en 1243.
13  Tombée en 1247.
14  Tombée en 1246.
15  Tombée en 1236.
16  Littéralement Homs. Séville était appelée Homs (du nom de la ville syrienne) parce que la garnison qui l’occupait était composée de Syriens originaires de Homs. Tombée en 1248.
17  Mihrab : dans une mosquée, niche indiquant la direction de La Mecque.
18  Chaire d’où l’imam donne son prêche.
19  Littéralement : qui prendra en pitié des gens humiliés qui avaient connu la gloire.
20 Littéralement : rois.
21  Traditionnellement, et jusqu’à aujourd’hui, c’est la lune qui est le comparant de la beauté et non pas le soleil. Il est curieux que Rondi se réfère ici au soleil.
Référence papier
Jalel El Gharbi, « Thrène de Séville », Cahiers de la Méditerranée, 79 | 2009, 26-30.

jeudi 25 juin 2020

Pour sa fête, l'armée tunisienne dévoile sa dernière réalisation : ce véhicule blindé entièrement fabriqué en Tunisie. Félicitations !

dimanche 18 août 2019

Chers amis,
Je suis plus souvent sur facebook. Je vous invite à m'y rejoindre.

jeudi 11 juillet 2019

Giulio-Enrico Pisani : Et le Papillon chanta


Giulio-Enrico Pisani
Luxembourg, 2 juillet 2019

Et Le Papillon Chanta

Orhan Veli, les Haïkaï de Kikakou Et la genèse du Haïku Turc


Laurent Mignon
Notre écrivain, poète, chercheur, et linguiste (j’allais-dire nation..., pardon...), international, Laurent Mignon[1], a de nouveau frappé, mais cette fois de concert avec la spécialiste du Japon et des religions de l’Asie de l’Est, Katja Triplett[2].  Leurs baguettes: recherche, analyse, perspicacité et culture chevauchant les langues, se moquant des frontières et survolant les continents!   Leur partition: la magie d’une des formes poétiques les plus compactes, allégoriques, percutantes qui soient: le haïku ou haïkaï.  Les auteurs nous révèlent dans ce petit ouvrage de 96 pages[3], comment cette poésie nippone formée et ciselée en vers et mots d’une grande finesse reflétant mille pensées et sentiments synthétisés à l’extrême, viendra affronter les aléas de la traduction au bout d’un imprévisible voyage.  Ils explorent pour ce faire les portées lancées du japonais original de l’haïku vers les langues occidentales, puis entre celles-ci jusqu’au français et enfin au turc en profitant des libertés propres à la poésie, mais surtout d’interprétation, telle que le permet la distance philosophique, sémantique et logique entre ces langues.
Aussi, nos deux écrivains chercheurs orientalistes deviennent ici historiens et, en tout cas, détectives, comme surgis d’un chapitre de cette Agatha Christie dont ils citent l’une des traductrices.  Traductrice?  Eh oui, justement, le véritable esprit de cet ouvrage est la Traduction, esprit qui s’appuie sur deux pôles ou parties que les auteurs nomment respectivement «Introduction» et «Textes et commentaires».  La première partie, historico-analytique, s’attaque au mystère et essaye essentiellement d’élucider le comment.  Comment Orhan Veli, l’enfant terrible de la poésie turque, instigateur du mouvement d’avant-garde Garip (Bizarre) et, comme bien de ses contemporains, versé dans les lettres françaises, découvrit-il les haïkus de Kikakou, dans leur traduction française et fut-il amené à les traduire en turc?  La seconde partie, que je dirais poético-analytique, comprend deux douzaines de haïkus présentés en japonais, français et turc, chacun accompagné d’une page explicative, permettant notamment de bien saisir et la poésie du haïku, ainsi que la luminosité littéraire et symbolique de l’original, puis dans les traductions. 
Mais je passe à présent la parole à l’éditeur, qui nous présente ce poète-traducteur turc (presque auteur ou néo-concepteur, pourrait-on dire, vu le chemin parcouru par ces joyaux) bien mieux que je ne le pourrais faire. 
« Né le 13 avril 1914 à Istanbul, Orhan Veli fut une des principales figures de la poésie turque du XXe siècle. Théoricien de l’avant-garde, il fonda le mouvement Garip (Étrange) avec Oktay Rifat Horozcu et Melih Cevdet Anday. Il composa le manifeste du mouvement rejetant toute forme de passéisme littéraire, un des premiers exemples de manifeste littéraire en Turquie. Avocat du vers libre et s’inspirant des événements de la vie de tous les jours, il fut le pionnier d’une poésie minimaliste aux accents surréalistes, non dépourvue de lyrisme, qui marqua profondément la littérature turque. Outre des contributions régulières à diverses revues défendant un certain modernisme littéraire, il publia cinq recueils de son vivant[4], Mais la littérature n’était pas sa seule passion. Grand bohémien devant l’éternel, il mena une vie mouvementée dont les écarts allaient finir par lui être fatals. Il mourut le 14 novembre 1950 à l’âge de 36 ans des suites d’un accident. Ses poèmes complets furent publiés l’année d’après.».
Mais avant de laisser les deux auteurs de cette enquête aborder sa deuxième partie de l’ouvrage, j’aimerais citer en conclusion de la première (Introduction), leurs cinq phrases répondant, du moins en partie, à leur question initiale sur le comment et le pourquoi du poète turc.  «Dans les traductions d’Orhan Veli, l’avant-garde turque rencontre le Japon, du XVIIe siècle.  Des imagistes aux Beats, en passant par les surréalistes, l’histoire du haïku occidental est le produit de rencontres similaires entre des mouvements littéraires modernistes et la tradition japonaise. Il n’y a nul doute que les traductions des haïkus de Kikakou avaient une signification particulière pour Orhan Veli, puisqu’il les inclut dans leur intégralité, y compris les inédits, dans le premier cahier qu’il remit à la femme qu’il aimait en guise de testament poétique. Kikakou ne lui en aurait pas trop voulu, quand il prenait certaines libertés avec ses poèmes ou lorsqu’il subvertissait les traductions françaises. Ce refus de se soumettre aux maîtres aurait séduit l’élève insoumis de Bashô...»
Ce testament poétique (qu’il remit à la femme qu’il aimait), donc lato sensu cette clé qui nous ouvre la deuxième partie du lire, est l’amour, l’amour tous genres, certes, mais (pudeur nippone?) quasi-ataraxique, sans passion réelle.  Impression personnelle – je le reconnais –, elle me touche toutefois dès le premier haïku, en face duquel les auteurs expliquent «en clair» la sobre richesse et les messages contenus dans l’original de Kikakou, contraposée à ses interprétations et libertés française et turque.  Le voilà ce premier haïku, avec tout ce qu’il entend et sous-entend «Fête des fleurs. / Accompagné par sa maman, / un enfant aveugle.» –, mais dont la richesse ne peut être saisie par qui ignore la grande importance de la fête des fleurs au Japon!  Il est clair, d’autre part, que la poésie de Kikakou ne se limite pas à l’amour de la femme aimée, mais qu’elle brille également d’amour maternel et paternel, de celui de l’enfant, de l’ami, ou même et surtout, omniprésent et englobant toutes ses formes, l’amour de la nature!  Tout comme Corinne Atlan[5] le rappelle dans ses commentaires aux «Haïkus du temps présent» de la poétesse Madoka Mayuzumi: «Kikakou, n’affirme-t-il pas (...) que le haïkaï est destiné à conforter les coeurs?».  Quoi de plus juste!?  Et en voici, si besoin était, quelques preuves supplémentaires:
«À une fillette endormie et bien aimée / le coq chante. / Maintenant les moustiques sont partis / ma petite Tamako...»
«Oh! ce poisson vivant, / lumineux dans la nuit, / comme la belle Yokihi!»
 «À un ami qui vient de perdre sa femme: Qu’est devenue Enjo? / Elle a vécu sa vie – et maintenant / elle est comme la mer d’été
«Depuis longtemps / tu dors délicieusement / petit papillon
«Regardant la lune laiteuse, / je frappe à la porte. / Maison du prunier

Ne sont ils pas sublimes, ces joyaux poétiques, tout à la fois si proches de nous, de nos sentiments quotidiens et pourtant si exotiques, si éloignés de la prolixité d’une majorité de nos poètes occidentaux[6]?  Surement!  Découvrez-les donc dans ces pages, amis lecteurs, qu’une fois mis en appétit, rien n’empêche de prolonger votre plaisir et d’en découvrir d’autres en bibliothèque ou en librairie.  Ce qui compte toutefois le plus dans cet enrichissant ouvrage, c’est que Laurent Mignon et Katja Triplett nous aient introduits à travers leurs textes dans quelques arcanes de ce mystérieux art poétique nippon, étrangement vu du Levant via l’Occident.  Aussi méritent-ils toute notre reconnaissance pour nous avoir permis d’accéder à cette belle transfrontaliérité[7] des différences linguistiques et culturelles, qui existe depuis tous temps et se moque des particularismes étriqués.




[1]  .  Après des études qui l’ont mené de Bruxelles à Amman et de Londres à Istanbul, Laurent Mignon enseigne langue et littérature turques à la Faculté des études orientales de l’université d’Oxford. Ses recherches portent sur la littérature et l'histoire intellectuelle turques modernes, les littératures mineures de Turquie, la littérature socialiste, les thèmes bibliques dans la littérature turque et l'histoire intellectuelle juive moderne. De 2002 à 2011, il a enseigné la littérature turque moderne et la littérature arabe et turque comparée à l'université Bilkent à Ankara. Il est auteur, entre autres, de "Lettres de Turquie et d’ailleurs, d’Ana Metne Taşınan Dipnotlar": (Notes de bas page qui se transforment en texte : Écrits sur la littérature turque et l’interculturalité), "Hüzünlü Özgürlük: Yahudi Edebiyatı ve Düşüncesi Üzerine Yazılar" (Triste Liberté: Ecrits sur la littérature et la pensée juives), du recueil de poèmes "Pierres et poètes" et ; en langue allemande, "Ni kaza en Turkiya, Prosa jüdischer Autoren aus Istanbul" (www.zlv.lu/spip/spip.php?article21341)
[2] Katja Triplett travaille sur l’interculturalité et le fait religieux. Sa carrière universitaire l’a entrainée de Marburg à Londres, et de Göttingen à Leipzig, en passant par Hanovre, où elle dirige un projet de recherche sur la religion et l’alimentation. Parmi ses ouvrages principaux, l’on retrouve Prinz Goldglanz auf der Reise durch Himmel und Höllen: Zwei japanische Bildrollen des „Bishamon no honji“ aus dem 16. Jahrhundert im Kölner Museum für Ostasiatische Kunst, Menschenopfer und Selbstopfer in den japanischen Legenden: das Frankfurter Manuskript der „Matsura Sayohime-Legende“ et Buddhism and Medicine in Japan: A Topical Survey of a Complex Relationship (500-1600 CE) (Bouddhisme et Médecine au Japon: Enquête thématique sur une relation complexe [500-1600])
[3] Paru le 15.3.2019 aux éditions PETRA, Collection Voix d'ailleurs - Poésie                                                       
[4] Garip (avec Oktay Rifat Horozcu et Melih Cevdet Anday en 1941, puis réédité en solo en 1945), Vazgeçediğim (Ce à quoi je n’ai pu renoncer, 1945), Destan Gibi (Tel une épopée, 1946), Yenisi (Du nouveau, 1947) et Karşı (Contre, 1949). Une importante partie de sa carrière littéraire fut consacrée à la traduction d’œuvres littéraires. Il couvrit un vaste éventail d’œuvres et de genres allant des poèmes d’Alfred de Musset aux haïkus de Kikakou en passant par les Fables de La Fontaine et le Tartuffe de Molière.
[5] Traductrice, romancière et essayiste, Corinne Atlan a vécu près de vingt ans en Asie, enseignant le français au Japon
[6] Ce n’est bien sûr pas le cas des minimalistes, qui se sont d’ailleurs grandement inspirés du haïku, comme Saroyan, Brannen, Kempton, ou notre bien connu Laurent Fels.
[7] Le mot n’existe ni chez Littré, Larousse, Robert & Cie? Eh ben, il existe maintenant et est certainement plus clair et concis que «possibilité de pontage par-dessus les frontières».

jeudi 18 avril 2019

Notre-Dame de Paris, G. Duhamel


OEuvre de Gustave Loiseau
Georges Duhamel a consacré à Notre-Dame de Paris  quelques très belles lignes dans le tome VIII de la Chronique des Pasquier : Le Combat contre les ombres.
Au chapitre V (page 92 du Livre de poche n° 2146, 1967 - page 948 du volume paru en 1999 aux éditions Omnibus) le passage commence ainsi :
"Je connais les escaliers des cathédrales. C'est toujours au moment où l'on ne voit plus rien, au moment où l'on se sent perdu, c'est toujours alors que la lueur apparaît et vous console. Comme dans la vie".

mercredi 19 décembre 2018

Appel à communication

Imaginaires du changement (Tozeur)

               

                                              Colloque international
                                        Imaginaires du changement
                                                   en hommage
                                     au Professeure Hédia Abdelkéfi
                                 Tozeur les 30 avril, 1er et 02 mai 2019

Organisé par I2L (Intermédialité, Lettres et Langages - Université de Tunis El Manar) en collaboration avec l’Institut Supérieur des Etudes Appliquées en Humanités de Tozeur.
Parrainé par le CRI2i (Centre de Recherches Internationales sur l’Imaginaire) et ALTER (Arts, Langages : Transitions et relations - Université de Pau et des Pays de l’Adour).

Alors que prolifèrent les mythologies modernes accompagnant l’homme dans un mode de vie en perpétuel renouveau, le discours critique contemporain, quoique sensible à ces mutations profondes, ne semble pas accorder à l’imaginaire du changement, qui est au cœur de ces processus, toute l’attention requise. Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, ce qui ressemble à un ouragan de changements prend un nouvel élan. Cette nouvelle ère ne cesse de dicter ses canons, et d’aiguillonner les sociétés, notamment les plus rétives, à opérer des transformations structurelles, qu’elles soient d’ordre socioculturel, économique, politique ou juridique. La révolution technologique et l’émergence des moyens de communication modernes, ayant transformé le monde en un « village global », ont aboli les distances et ébranlé les anciennes évidences identitaires imposant à l’homme de s’engager sur la voie du changement et d’envisager un avenir autre.
Face à ces tendances généralisées au changement qui affectent tous les domaines de la pensée, il nous a paru utile d’interroger ce concept et de penser les mythes et les imaginaires qu’il suscite. Aussi, nous avons choisi comme thème pour ce colloque « l’imaginaire du changement », qui semble aujourd’hui plongé dans une crise profonde dont Paul Ricoeur avait identifié les signes. Ne s’agit-il pas essentiellement d’une crise du progrès qui, tout comme l’ont fait remarquer Edmund Husserl[1] et Jean-Jacques Wunenburger[2], met à mal aujourd’hui la culture occidentale ?
Nous voudrions élargir notre investigation et engager la réflexion sur les enjeux de cet imaginaire, ses représentations dans l’art et la littérature et son impact sur tout type de discours. Il n’est pas inutile de rappeler ici que le changement appelle une série de dénominations selon les contextes théorique, sociologique – englobant l’état d’avancement de la technologie et même l’idéologie politique – et historique : ainsi pris dans toute son extension, le concept n’est pas sans dénoter l’idée de conversion, de modification, de métamorphose, de mutation, de transformation, d’évolution, de révolution, d’innovation, de résistance... C’est en raison de cette difficulté qui empêche de le cerner et de délimiter sa signification que plusieurs recherches – philosophique, sociologique, psychologique ou littéraire – ont été menées sur l’une de ses variantes précitées, se souciant davantage de sa double portée pratique et rationnelle et de ses enjeux réels que du rapport que ce concept établit avec l’imaginaire. Or ce dernier n’est-il pas la clef de voûte de tout changement ? Est-il possible d’envisager un changement sans qu’il y ait en amont un imaginaire collectif et une volonté créatrice qui lui préparent le terrain ? Peut-on concevoir, d’un autre côté, un changement qui ne laisse son empreinte sur l’imaginaire de l’individu et celui de la collectivité ?
Tout en privilégiant les domaines de la philosophie, des lettres, des arts et des médias, nous souhaiterions, lors de ce colloque, nous ouvrir à toutes les disciplines que peut solliciter la réflexion sur « les imaginaires du changement ». Notre objectif est de réunir autour de cette problématique des chercheurs issus de domaines variés pour comprendre comment le changement – qui constitue aujourd’hui une thématique nouvelle dans le domaine du management – a pu être perçu au cours de l’histoire et interroger les grands moments du changement qui n’est a priori que la résultante d’un ethos.

Philosophie, mythe et religion :

L’imaginaire, n’obéit-il pas lui-même à la logique du changement ? N’est-il pas, aux yeux de Castoriadis, le catalyseur des transformations historiques et culturelles ? Selon ce philosophe, il est l’outil d’analyse approprié pour l’étude de l’histoire, qui n’est plus envisagée comme la résultante d’un déterminisme causal, mais plutôt pensée comme autocrétion ? Castoriadis s’est intéressé davantage à l’imaginaire social qui constitue à ses yeux : « l’œuvre d’un collectif humain créateur de significations nouvelles qui vient bouleverser les formes historiques existantes »[3]. L’idée du changement se trouve également chez Paul Ricoeur qui définit ce même imaginaire collectif comme la résultante d’une : « dialectique de l’innovation et de la sédimentation »[4]. Mais ce sont surtout les travaux de Gilbert Durand qui en disent long sur l’historicité de l’imaginaire et la palingénésie des mythes. Partageant avec Mircea Eliade l’idée de "survivances et camouflages des mythes", il qualifie leur évolution en recourant aux concepts de pérennité, de dérivations et d’usure.
Ce colloque sera donc l’occasion de débattre de cette acception de l’imaginaire – défini en termes de changement et de création –, puisant à la fois aux sources mythiques, aux théories de l’histoire et de la société et aux théories du langage et des représentations. Nous souhaiterions également examiner les continuités et les ruptures de l’imaginaire religieux et souligner la dynamique sociale qui se profile derrière le retour du religieux, et la résurgence du sacré.

Art, intermédialité, littérature et linguistique :

En s’autorisant une création sans cesse au bord des cadres de l’expérience – au sens où l’entend Erving Goffman – l’art, notamment dans ses expressions contemporaines, fabrique des micro-utopies dans l’entre-deux du réel et de l’imaginaire et, ce faisant, offre son apport aux mouvements de transformation et d’émancipation. Plus largement, la culture est ferment de mouvement, comme l’ont bien compris les régimes totalitaires qui se sont de tout temps employés à contrôler ces facteurs d’instabilité. Théâtre, cinéma, danse, peinture ; le processus créatif est lui-même nourri par l’« é-motion » et fonde à son tour ce qui nous « déplace ».
Par ailleurs, interroger l’imaginaire du changement dans son rapport avec la création littéraire nécessiterait que l’on réfléchisse – dans une perspective moins synchronique que diachronique – sur la littérature entre continuité et rupture, entre tradition et innovation. Nous voudrions mettre l’accent sur l’alternance des coupures/changements qui ont marqué l’histoire de la littérature de l’Antiquité à la postmodernité. Notre objectif est de cerner les imaginaires créatifs qui ont soutenu l’émergence du baroque, du classicisme, du romantisme – qui a levé l’étendard du progrès – du surréalisme, de l’existentialisme, du minimalisme, du néoréalisme… etc.
Nous souhaiterions aussi interroger les reprises et réitérations du formalisme en tous genres. De nombreux changements ont été en effet réclamés au nom d’un retour à des esthétiques ou théories anciennes. Les penseurs de la Renaissance qui étaient à l’origine de la transition du Moyen Âge aux temps modernes, ont redonné un nouveau souffle à la pensée antique et aux théories aristotéliciennes et l'écriture allégorique médiévale a été autrement reprise par la préciosité des classiques et les esthétiques parnassienne, symboliste, lettriste, etc. Or le retour à ces doctrines anciennes et la résurgence de ces esthétiques ne met-il pas en doute la présomption de changement dans les formes d'art, y compris la littérature ? Ne doit-il pas nous conduire à relativiser nos idées sur la créativité et l’innovation en matière d’art et de littérature ?
Ce colloque ambitionne également d’étendre la réflexion à l’imaginaire de la langue qui n’est pas non plus à l’abri du changement. Produit essentiellement social et indissociable de l’identité, la langue ne peut que subir les mêmes influences qui conditionnent la vie de la société et se soumettre aux fluctuations et aux mécanismes de son évolution historique.
L’ordre de la langue intervient aussi pour une nouvelle définition du texte comme « un appareil translinguistique ».  L’évolution des relations textuelles, théorisées par Julia Kristeva sous le concept d’intertextualité, révèle les multiples façons dont un texte littéraire peut se référer à un autre texte. Ce que l’auteure de La Révolution du langage poétique conçoit comme « le passage d’un système de signe à un autre » sera complété sous la plume de Jürgen Erich Müller par un nouveau concept : l’intermédialité. Les multiples interactions entre arts et littérature, littérature et médias donnent lieu à des pratiques expérimentales innovantes. Comme on peut le constater, les processus de transferts, de transpositions, d’hybridations ou de réécritures intermédiatiques attestent largement de la complexité du fait littéraire ; ils offrent ainsi un outil efficace de décryptage du langage et de l’imaginaire du transémiotiques qu’ils sont censé véhiculer.  
Qu’il soit de l’ordre du verbal ou du non verbal, le langage traduit les représentations mentales du sujet. Avec l’émergence de la société médiatique, celles-ci sont de plus en plus manipulées par des techniques imaginatives susceptibles de conduire le sujet à adopter de nouveaux comportements. L’intérêt serait alors de penser le changement dans le cadre de la P.N.L.

Histoire, sciences sociales et sciences politiques :

Le changement social est-il nécessairement lié à une crise ? Est-il un évènement accidentel ou un élément moteur de l’histoire ? Nécessite ou fatalité ? S’inscrivant en faux contre la fixité et l’incapacité de s’adapter aux circonstances, Montaigne, fidèle à l’imaginaire humaniste de son époque, valorise la métamorphose et ce qu’il appelle le « mouvement inégal, irrégulier et multiforme »[5] de la vie.  Mais développant sa pensée politique, il affirme que « Rien ne presse un estat que l’innovation : le changement donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie.»[6]. S’il encourage l’individu à évoluer sans cesse et à refuser de céder à l’accoutumance, Montaigne, sur le plan sociopolitique penche pour le conservatisme. Or nombreuses questions se posent lorsqu’on évoque l’imaginaire du changement politique : peut-on adhérer au changement tout en étant enclin au conservatisme ? Peut-on faire du neuf avec de l’ancien ? Quelles sont les constantes dans l’imaginaire de la réforme, de la révolution et de la contre révolution ? Nous souhaiterions au juste réfléchir sur l’imaginaire qui sous-tend les révolutions et les réformes politiques quelles que soient les raisons au nom desquelles elles se sont imposées : des motivations liées à la religion, à l’économie, à la volonté populaire, à l’esprit national ou à une quelconque idéologie.
D’autre part, les travaux sociologiques sont légion notamment ceux qui traitent de l’impact des grands changements sur l’imaginaire des sociétés modernes et postmodernes ; citons les travaux de Georg Simmel, de Max Weber, de David Riesman, de Michel Maffesoli, etc. ainsi que les nouvelles approches sur l’innovation, les stratégies et l’accompagnement du changement. Nous voudrions que ce colloque soit l’occasion pour faire le point sur ces recherches et en étudier le fondement théorique et méthodologique.
Les communications peuvent être présentées dans une des langues suivantes : français, anglais ou arabe.
Principales échéances et droits d’inscription :
Les propositions de communication en français, en arabe ou en anglais (titre, résumé – une vingtaine de lignes–, 5 mots clefs) seront accompagnées d'une courte notice bibliographique et envoyées au plus tard le 15 février 2019 aux adresses suivantes :   

1er mars 2019 : notification de la liste des propositions acceptées.
30 septembre 2019 : rentrée des textes définitifs, accompagnés de leur résumé.
Un droit d'inscription forfaitaire de :
250 € sera demandé aux participants étrangers. Ce droit d'inscription inclut :
  • l'hôtel en pension complète pendant 4 jours.
300 DT sera demandé aux participants locaux. Ce droit d'inscription inclut :
  • l'hôtel en pension complète (demi-double), pendant 3 jours.
Comité scientifique
Jean-Jacques WUNENBURGER (Université Jean Moulin Lyon 3, France) 
Isabelle CHOL (Université de Pau et des Pays de l'Adour, France),
Gérard PEYLET (Université Bordeaux-Montaigne, France),
Elisabeth MAGNE (Université Bordeaux-Montaigne, France),
Jouhaina GHERIB (Université de la Manouba, Tunisie),
Samir MARZOUKI (Université de la Manouba, Tunisie),
Ali ABASSI (Université de la Manouba, Tunisie),
Jalel El GHARBI (Université de la Manouba, Tunisie),
Fadhila LAOUANI (Université de la Manouba, Tunisie),
Héla OUARDI (Université de la Manouba, Tunisie),
Bassem JEMAL (Université de Sfax, Tunisie),
Mounir TRIKI (Université de Sfax, Tunisie),
Ridah ZGAL (Université de Sfax, Tunisie),   
Mohamed BENKHALIFA (Cabinet MBC Inc.  Québec, Canada), 
Corin BRAGA (Université Babes-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie),
Simona JISA (Université de  Cluj-Napoca, Cluj, Roumanie),
Mohamed HAMZA (Université de Sousse, Tunisie),
Alya CHELLY (Université de Sousse, Tunisie),
Tanella BONI (Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire),
Nabila BOUHOUHOU (ENS – Bouzaréah – Alger, Algérie),
Abdel Jlil ELIMAM (École nationale polytechnique d'Oran, Algérie),
Sonia CHAMKHI (Université de Carthage, Tunisie),
Ahmed BEN HAMOUDA (Université de Tunis, Tunisie),
Noureddine NAIFAR (Université Tunis El Manar, Tunisie),
Saloua BEN AHMED Université Tunis El Manar, Tunisie),
Zouhour BEN AZIZA (Université Tunis El Manar, Tunisie),
Youssef BEN OTHMAN (Université Tunis El Manar, Tunisie),
Habiba BOUHAMED CHAABOUNI (Université de Tunis El Manar, Tunisie),
Hayet BEN CHARRADA (Université de Tunis El Manar, Tunisie).
Comité d’organisation
Mouna ABDESSALEM (Université de Sfax, Tunisie)
Lazhar AYDI (Université de Kairouan, Tunisie),
Hayet BEN CHARRADA (Université Tunis El Manar, Tunisie),
Zinet BOUHAJEB (Université de Sfax, Tunisie),
Nesrine BOUKEDI (Université de Carthage, Tunisie)
Béchir BOUOUNI (Université de Gafsa, Tunisie)
Mohamed CHAGRAOUI (Université de Tunis El Manar, Tunisie),
Wafa DAMMAK (Université de Sfax, Tunisie),
Besma HNANA (Université de Sfax, Tunisie),
Hichem ISMAIL (Université de Sfax, Tunisie),
Souha NOURI (Université de Sfax, Tunisie),

Coordinateurs du colloque
Mohamed CHAGRAOUI (Université de Tunis El Manar) et Hichem ISMAIL (Université de Sfax).
Circuit touristique au sud tunisien
Le Congrès qui se déroulera dans un grand hôtel à Tozeur les 30 avril, 1er et 2 mai 2019, sera suivi le jeudi après-midi, après la clôture du colloque, d'un circuit touristique dans le sud tunisien désertique. Au programme : visite de Tozeur et des oasis de montagnes Chebika et Tameghza, balade en 4x4 dans les dunes d’Ong El jemal, visite du décor de Star Wars et dîner en plein désert. Il s’agit d’une excursion optionnelle pour un prix de 70 € par personne.


[1] Cf. La crise de l'humanité européenne et la philosophie, Éditions bilingue, trad. de Paul Ricœur, Aubier, Paris, 1977.
[2] Cf. son livre Le progrès en crise, Editions numériques, EPPR, 2014.
[3] Nicolas Poirier, « Cornelius Castoriadis. L’imaginaire radical », https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2003-1-page-383.htm
[4] Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, pp. 146-147.
[5] Montaigne, Les Essais, Livre III, Edition Villey Saulnier, Pris, PUF, p. 819.
[6] Ibid., p. 958.